COMMENT DISPARAISSENT LES LANGUES ?
La disparition d'une langue passe toujours par un mécanisme en trois phases avec un seuil d'irréversibilité.
Décryptage de ce processus :
​
I. UN MECANISME EN TROIS PHASES
​
-
Phase 1 - La langue de la communauté (langue vernaculaire) est parlée par toute la communauté. Une infime minorité de personnes parlent aussi une langue dominante (souvent une langue véhiculaire, ou langue vernaculaire d’une communauté plus vaste). C'est le monolinguisme au profit de la langue vernaculaire.
-
Phase 2 - Le prestige de la langue véhiculaire, son intérêt pratique, et la soif d’ascension sociale poussent à son apprentissage massif ; puis des familles de plus en plus nombreuses décident d’en faire la langue maternelle de leurs enfants. C'est le bilinguisme généralisé.
-
Phase 3 - Progressivement, les enfants élevés dans la langue véhiculaire cessent d’apprendre la langue vernaculaire (à cause des difficultés de la transmission tardive ou par indifférence). Le bilinguisme recule, au profit de la langue véhiculaire. C'est le monolinguisme au profit de la langue dominante. Pour les langues dialectales ou non écrites, une vie commune avec des locuteurs natifs n’est pas suffisante pour commencer à comprendre la langue, car la transmission à la naissance s'est interrompue
II. COMMENT APPARAIT L'IRREVERSIBILITE ?
​
-
Elle vient des adultes qui ne sont pas locuteurs - ils apparaissent dès la phase 2 - et ne parviennent pas à apprendre la langue, alors même qu'ils font partie de la communauté. Qui sont-ils ?
1. Les enfants à qui les parents ont appris la langue dominante pour faciliter leur réussite sociale ;
2. Les conjoints non locuteurs. En effet, le couple est souvent un accélérateur du déclin d’une langue dans la mesure où la langue parlée par un couple mixte et ses enfants est quasiment toujours la langue dominante : ce constat n’est pas le fruit d’un rapport de force mais une prise en compte rationnelle de l’intérêt de la cellule familiale et du fait que le locuteur de la langue minoritaire est quasiment toujours bilingue, contrairement au locuteur natif de la langue dominante.
-
La présence de ces adultes non locuteurs fait que les locuteurs eux-mêmes se mettent à recourir à la langue dominante pour rendre possibles et faciliter les échanges. L’apprentissage par immersion devient alors de plus en plus difficile.
-
Il devient bientôt impossible car, avec la poursuite du processus, les langues n’ont bientôt plus assez de locuteurs pour offrir une immersion totale et suffisamment longue pour les acquérir.
​
III. AUTRES FACTEURS RESPONSABLES DE CE CERCLE VICIEUX
​
-
Très souvent, alors que l’apprentissage par immersion est devenu impossible, ces langues ne peuvent pas non plus être apprises de manière académique car elles sont :
-
Non formalisées, voire non écrites. Ceci rend l’enseignement académique difficile voire impossible, et il n’existe souvent que peu de supports pédagogiques ;
-
Riches d’une très forte diversité dialectale. Un dialecte particulier ne peut s’apprendre avec le peu de littérature disponible d'autant plus qu'il ne correspond que rarement à la forme dialectale utilisée dans cette même littérature
-
-
La sauvegarde d’une langue est soumise à la condition de la prise de conscience de sa valeur par sa communauté ; seule une communauté humaine peut décider que son héritage linguistique et culturel a une valeur inestimable et retrouver la fierté d’elle-même. Or, quand cette communauté veut se réapproprier sa langue, il est déjà trop tard car c’est très souvent en phase 3 qu’a lieu cette prise de conscience.